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23 mai 2020

Dominique Fortier - dfortier@medialo.ca

Les journalistes en temps de pandémie: entretien avec le professeur Thierry Watine

COVID-19

Thierry Watine

©Photo Gracieuseté

Thierry Watine a écrit plusieurs livres sur le journalisme au cours de sa carrière.

Si la crise actuelle de la Covid-19 entraîne son lot d'inquiétudes, d'incertitudes et de frustrations, elle donne aussi lieu à des échanges agressifs et même haineux entre les gens et aussi envers ceux qui rapportent l'information.

Depuis le début du confinement, les commentaires agressifs, accusateurs et réducteurs sont nombreux sur les réseaux sociaux. Quotidiennement, on peut lire des tirades du genre: « Le gouvernement et les médias propagent la peur » ou encore « les journalistes posent des questions idiotes ». Il arrive aussi de recevoir des menaces de damnation éternelle (fait vécu) où l'on promet que « Satan va emporter les journalistes ».

Récemment, l'ex-collègue, Jeff Yates, créateur du blogue l'inspecteur viral, racontait dans une lettre d'opinion qu'il recevait des messages haineux tels que « va donc boire un grand verre d'eau de javel » ou encore qu'il allait lui arriver la même chose qu'aux collaborateurs du régime néonazi. Mais qu'est-ce qui cultive tant de haine envers les scribes des temps modernes? Est-ce que les journalistes posent effectivement des questions idiotes aux élus? Est-ce qu'il y a plus d'agressivité envers les journalistes depuis le début de la pandémie? Quel est le rôle du journaliste en temps de pandémie?

On a posé ces questions au professeur titulaire au département de l'information et de communication de l'Université Laval, Thierry Watine.

Selon lui, la méfiance envers les journalistes n'est clairement pas un nouveau phénomène. « Il y a longtemps eu ce sentiment que les médias en font trop ou pas assez. Or, la crise du coronavirus accentue ce phénomène tout d'abord parce que c'est une situation très anxiogène. Les gens ne savent pas ce qui s'en vient au cours des prochaines semaines et peut être même des prochaines années. »

Thierry Watine explique qu'en temps incertains, les citoyens ont besoin d'être rassurés. Or, ce n'est pas le rôle d'un journaliste. « On est donc face à un décalage entre les attentes des gens et ce que font les journalistes. C'est un premier point de tension. Ensuite, il ne faut exclure le fait que les médias s'intéressent souvent plus au train qui déraille qu'à celui qui arrive à l'heure. Et c'est un sujet spectaculaire à couvrir. Donc ça entretient des grandes peurs journalistiques. Le sujet est omniprésent et les médias parlent de ce sujet à 2 000 %. On parle alors de surinformation. »

Ainsi, comme le flux d'informations est constant et particulièrement négatif dans le contexte actuel, les gens deviennent irrités par ces mauvaises nouvelles et par la peur engendrée par la situation. « Quand je regarde les nouvelles, j'ai l'impression que le coronavirus prend une place démesurée. Les journalistes auraient intérêt à varier davantage leur contenu parce que les gens sont tannés », poursuit le professeur, qui mentionne également, que les lecteurs eux-mêmes, sont nombreux à propager des informations tout aussi anxiogènes via les réseaux sociaux. « Les médias traditionnels plus ce qui est véhiculé sur les réseaux sociaux contribuent à cette saturation. »

Si les journalistes, pour la plupart, tentent de faire leur métier de la façon plus honnête possible, ils se butent à une défiance et une méfiance qui ne datent pas d'hier. Depuis une trentaine d'années, de nombreuses études réalisées sur le sujet démontrent que la cote de popularité des journalistes est à peine au-dessus de celle des politiciens.

Questions stupides?

Un autre point qui revient souvent dans les commentaires des internautes est en lien avec les questions posées lors des différents points de presse des premiers ministres du Québec et du Canada. « Là-dessus, j'ai deux opinions. Premièrement, c'est normal de poser des questions qui dérangent et on ne peut pas reprocher aux journalistes de confronter les élus ou un directeur de la Santé publique, spécialement lorsque le discours change continuellement », explique Thierry Watine.

De l'autre côté, le professeur se range également du côté des gens à l'effet que les questions posées lors de ces points de presse sont parfois mal préparées ou peu recherchées. « On ne peut pas leur reprocher de faire leur métier mais le coronavirus est d'une complexité telle que les journalistes doivent travailler davantage pour en apprendre sur le sujet. Il peut donc arriver qu'on entende des questions moins pertinentes, mais en même temps, le sujet est si complexe que parfois, même les médecins ne sont pas d'accords entre eux », illustre-t-il.

Information alternative et théories du complot

Maintenant, il y a toutes ces sources d'information dite alternative dont on accuse les journalistes d'ignorer. Or, si les journalistes doivent être au service de la vérité, cette vérité n'est pas la même pour tous. Ainsi, une partie de l'agressivité dirigée envers les journalistes provient de gens qui sont convaincus qu'on leur cache la vérité ou que les médias complotent avec les gouvernements pour alimenter la peur.

À cet effet, le dicton qui dit que la vérité dérange s'applique aussi dans ce cas selon le professeur Watine. « C'est un nouveau défi du journalisme, soit de se positionner sur ce qui se passe sur les réseaux sociaux et sur les pseudo-experts de la toile. Mais en même temps, c'est une bonne nouvelle pour le journalisme traditionnel puisque je crois que, à un moment donné, les gens auront besoin de repères et d'une information sur laquelle ils peuvent se fier. Pour ma part, je vais toujours privilégier les médias traditionnels qui ont prouvé leur crédibilité par le passé. »

Et la vie continue

Finalement, Thierry Watine est d'avis que les médias doivent parler du coronavirus puisqu'il bouleverse chaque aspect de la vie des gens mais qu'en même temps, la vie continue. « Il y a encore des artistes qui produisent des disques, des architectes qui construisent des maisons, etc. »

Par ailleurs, le professeur parle d'un phénomène qui prend de l'ampleur au fil des époques. Aujourd'hui, les gens veulent être informés mais ils s'attendent également à ce que les médias fournissent des solutions aux problèmes.

Morale de l'histoire, les journalistes ont un rôle d'informateur à jouer mais on s'attend également d'eux que leur travail soit rigoureux et qu'ils diversifient leurs reportages dans un contexte planétaire où la gens ont bien besoin de nouvelles rafraîchissantes de temps à autre.

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